Nicolas Collongues et Laurent Monassier
Bref historique et définition du médicament
L'histoire des traitements en médecine est intimement liée à la prise en soins des maladies infectieuses. La thérapeutique connaît un essor favorable au milieu du XIXe siècle avec la découverte des premiers antibiotiques, puis les expériences de Pasteur sur la vaccination et enfin la découverte de la génétique par Mendel ou encore la réflexion menée par Claude Bernard sur la démarche expérimentale. Celui-ci définit dès lors la thérapeutique comme « la branche de la médecine qui étudie, enseigne la manière de traiter les maladies et les moyens propres à guérir, à soulager les malades » (Claude Bernard, princip exp, 1878 p. 283).
Aujourd'hui, le médicament, tel que nous l'utilisons dans notre pratique médicale, est défini selon l'article L.511 du Code de la santé publique, « on entend par médicament, toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic ou de restaurer, corriger ou modifier leur fonction physiologique en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique. »
Cette définition englobe tous les aspects du médicament puisqu'on trouve des propriétés de prévention des maladies, mais aussi de traitement ou de diagnostic.
Points importants à prendre en compte au moment de la prescription
En thérapeutique, il est important de garder en tête plusieurs aspects liés au médicament et susceptibles d'impacter directement la prescription. En particulier, les notions de pharmacodynamie (effet du médicament sur l'organisme), de pharmacocinétique (effet de l'organisme sur le médicament) et les interactions médicamenteuses sont des éléments cruciaux qui doivent faire réfléchir le médecin au moment de prescrire. La notion de patients à risque est également une donnée majeure qui peut conduire à adapter les posologies, voire proscrire un produit si le rapport bénéfice/risque venait à s'inverser.
Pharmacodynamie
La pharmacodynamie est l'étude des mécanismes moléculaires, cellulaires et fonctionnels sous-tendant les effets des médicaments sur l'organisme. Elle implique la liaison d'un médicament sur sa cible ainsi que les conséquences de cette liaison (activation, inhibition, modulation allostérique, etc.). Les effets pharmacodynamiques dépendent aussi de la relation entre la dose et l'effet, elle-même dépendant des caractéristiques pharmacocinétiques dictant la concentration de médicament arrivant au voisinage de sa cible et de son affinité pour son site de liaison.
Cette pharmacodynamie est à l'origine de plusieurs conséquences cliniques qui sont :1.un effet thérapeutique correspondant à « une amélioration mesurable immédiate ou retardée, transitoire ou définitive, de l'état de santé ou du bien-être d'un sujet en rapport avec l'utilisation d'un médicament et, a priori, explicable par une ou plusieurs de ses propriétés pharmacologiques » ;
2.un effet indésirable correspondant à une réaction nocive et non voulue, due à l'utilisation d'un médicament à posologie habituelle ou résultant d'un mésusage du médicament (encadré 31.1). Cette définition sous-entend qu'il existe un certain degré de relation causale (imputabilité) entre la prise du médicament et la survenue de l'effet. En l'absence de lien causal ou si ce dernier n'a pas été recherché, on parle d'événement indésirable.
Encadré 31.1 Définition des effets indésirables des médicaments
Un effet indésirable grave est :
- un effet entraînant :
- le décès,
- la mise en jeu du pronostic vital,
- une hospitalisation (ou une prolongation d'hospitalisation),
- une invalidité ou une incapacité significative,
- des séquelles,
- des malformations ou des anomalies congénitales (médicament pris par la mère avant ou pendant la grossesse) ;
- toute manifestation clinique considérée comme grave par le clinicien.
Un effet indésirable est dit non grave s'il ne répond à aucun des critères de gravité énoncés ci-dessus.
Pharmacocinétique
La pharmacocinétique est l'étude quantifiée du devenir des médicaments dans l'organisme. Elle distingue quatre étapes, désignées par l'acronyme ADME, sur le devenir du médicament après son administration :
Absorption
L'étude de l'absorption du médicament sert à déterminer sa biodisponibilité, c'est-à-dire la fraction de la dose administrée qui atteint la circulation générale et la vitesse à laquelle elle l'atteint. Celle-ci dépend de la voie d'administration (orale, parentérale, respiratoire, cutanée, etc.) mais aussi d'autres facteurs comme l'alimentation, le transit ou les médicaments associés. La biodisponibilité est l'un des paramètres nécessaires pour déterminer un schéma posologique.
Distribution dans l'organisme
Elle analyse la diffusion du médicament dans les tissus et détermine la quantité de médicament actif (non fixé aux protéines plasmatiques) et sa vitesse de distribution dans l'organisme. Le volume apparent de distribution se calcule à partir de la quantité de médicament dans l'organisme divisée par sa concentration plasmatique. Sa variation en cas d'augmentation ou de diminution du volume plasmatique (déshydratation) nécessite une adaptation de la posologie.
Métabolisme
Le métabolisme d'un médicament consiste en sa biotransformation. Celle-ci implique à des degrés variables différents organes comme le foie, les reins, les poumons ou l'intestin. Elle met en jeu des systèmes enzymatiques qui peuvent être stimulés ou inhibés par d'autres principes actifs médicamenteux ou d'autres xénobiotiques (inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques). Cette biotransformation peut conduire à la formation de métabolites inactifs (cas le plus fréquent) ou actifs. L'effet du médicament dépend donc des quantités résiduelles du principe actif et de ses métabolites.
Élimination
L'élimination d'un principe actif médicamenteux par l'organisme se fait essentiellement par voie rénale et hépatobiliaire. Certains produits sont aussi éliminés par voie respiratoire (alcool). À noter que l'on peut trouver le médicament dans d'autres milieux biologiques tels que la salive, les larmes, la sueur, etc. Son paramètre pharmacocinétique caractéristique est le temps de demi-vie d'élimination du principe actif qui correspond au temps au bout duquel sa concentration sanguine a diminué de moitié. On mesure aussi la clairance plasmatique qui est le volume de plasma totalement épuré par unité de temps. L'ensemble des paramètres pharmacocinétiques permet de calculer le nombre de doses régulières nécessaires pour obtenir l'état d'équilibre où les concentrations plasmatiques en principe actif cessent d'augmenter. On considère qu'un médicament est complètement éliminé de l'organisme au bout de 7 demi-vies. Il reste alors moins de 1 % de sa concentration plasmatique initiale. Le temps de demi-vie permet aussi de définir l'évolution dans le temps des concentrations sanguines du médicament (principe actif et/ou métabolites) et donc de prédire la durée et l'amplitude des effets pharmacologiques (règle de la proportionnalité directe entre la concentration sanguine et l'effet).
Interactions médicamenteuses
Il y a interaction médicamenteuse lorsqu'un ou plusieurs effets d'un médicament (effet thérapeutique ou effet secondaire) sont modifiés par l'introduction ou le retrait d'un autre médicament. On distingue les interactions pharmacodynamiques et pharmacocinétiques.
- L'interaction pharmacodynamique correspond à une action conjointe d'au moins 2 médicaments sur un même mécanisme fonctionnel. Elle peut provenir d'une action conjointe sur la même cible moléculaire (interaction moléculaire directe) ou sur un même mécanisme physiologique mais par une action sur des cibles différentes (interaction fonctionnelle).
Exemple
Ce type d'interaction peut être observé avec des prescriptions associant deux traitements avec le même effet sur une même cible comme avec deux anti-inflammatoires, deux antidépresseurs ou deux anxiolytiques, exposant le patient à un risque cumulé d'effet indésirable sans augmentation du bénéfice.
Si deux médicaments ont une action opposée (agoniste + antagoniste) sur la même cible moléculaire, il n'est alors pas recommandé de les associer, sauf si un effet antidote est recherché.
Exemple
Cela peut être le cas lors de l'utilisation de la naltrexone en traitement de l'alcoolisme qui empêche l'effet de la morphine utilisée comme antalgique. La littérature neurologique comprend de nombreux exemples illustrant deux effets opposés sur un même récepteur, comme l'utilisation d'un neuroleptique antipsychotique (entre autres bloqueur des récepteurs D1 et D2 de la dopamine) associé à un traitement dopaminergique (L-dopa ou agoniste dopaminergique) ou l'action d'immunosuppresseurs associés à des médicaments stimulant le système immunitaire.
- L'interaction pharmacocinétique correspond à une modification du taux plasmatique d'un médicament du fait de l'introduction d'un autre médicament. L'interaction concerne une ou plusieurs étapes (ADME) du devenir du médicament dans l'organisme. Contrairement aux interactions pharmacodynamiques, les interactions pharmacocinétiques ne concernent pas que des médicaments d'une même famille, et sont donc moins facilement prévisibles. Elles sont à l'origine de la majorité des accidents thérapeutiques dus à des interactions médicamenteuses.
Parmi les médicaments utilisés en neurologie qui sont le plus à risque d'interaction médicamenteuse, on retrouve : - les molécules cytotoxiques :
- méthotrexate par voie orale en association à des molécules inhibant la sécrétion tubulaire rénale (aspirine, AINS, pénicillines, sulfamides antibactériens, etc.),
- anticancéreux, notamment en pédiatrie, ayant comme substrat le cytochrome 3A4 en association à des molécules inductrices ou inhibitrices ;
- les opiacés IV, oraux ou transdermiques ayant comme substrat le cytochrome 2D6 (codéine) ou 3A4 (fentanyl, méthadone, oxycodone) en association à des molécules inductrices ou inhibitrices ;
- les antiépileptiques du fait de leur action inhibitrice (acide valproïque, felbamate, topiramate) ou inductrice (carbamazépine, oxcarbazépine, phénobarbital, phénytoïne) sur les cytochromes ;
- les électrolytes concentrés :
- sels de potassium et médicaments hyperkaliémiants dont les diurétiques d'épargne potassique ou les inhibiteurs de l'enzyme de conversion,
- sels de sodium, calcium, magnésium et phosphate susceptibles de diminuer l'absorption intestinale d'autres molécules.
Populations à risque
Les interactions pharmacocinétiques sont liées à la façon dont l'organisme traite et élimine le médicament. Elles peuvent varier fortement d'une personne à l'autre du fait de polymorphismes génétiques ou de différences fonctionnelles d'organes comme une insuffisance rénale. Les principaux facteurs individuels susceptibles de faire varier la pharmacocinétique du produit sont mentionnés dans le tableau 31.1. Cette notion conduit à rechercher ces facteurs pour expliquer la variabilité de l'effet des médicaments selon les patients. De plus, il existe une susceptibilité individuelle à l'effet des médicaments car leurs cibles sont codées par des gènes dont l'expression est variable d'un individu à l'autre.
Tableau 31.1
Facteurs individuels les plus courants influençant la pharmacocinétique du médicament.
Variables physiologiques | Variables environnementales | ||
---|---|---|---|
Âge (enfants et personnes âgées) | Modifications de l'état physiologique (rein, foie) Traitements inadaptés chez le sujet âgé ou l'enfant | Habitudes alimentaires | Variation de l'absorption des médicaments Variation du métabolisme hépatique des médicaments (millepertuis, pamplemousse) |
État général (dénutrition, obésité, déshydratation) | Modification du volume de distribution des médicaments | Hygiène de vie | Modifications du microbiote Modifications métaboliques (tabac et poumon) |
Grossesse | Modification du volume de distribution des médicaments | Automédication | Interactions médicamenteuses variées |
Insuffisance rénale ou hépatique | Modification du métabolisme (foie) ou de l'excrétion (rein) des médicaments | Observance | Risque de surdosage ou de sous-dosage |
Dans le cas d'un effet indésirable d'un médicament, il existe des approches pharmacologiques dites « correctives » permettant de lutter contre cet effet. Par exemple, les neuroleptiques peuvent provoquer des effets indésirables extrapyramidaux associant tremblements, mouvements involontaires, hypertonie ou akinésie. Ces effets indésirables sont liés à leur action pharmacologique. Les traitements à action anticholinergique sont dits « correcteurs » car ils permettent d'atténuer ces manifestations induites par les neuroleptiques. En revanche, ils ne sont pas prescrits de façon systématique chez tous les patients traités par neuroleptiques mais uniquement en cas de tremblements et d'hypertonie induits par le traitement dès leur apparition en les évitant chez les sujets âgés.
Toutes ces données doivent conduire à un réflexe conditionné : « la réponse à un médicament est toujours variable d'un individu à l'autre conduisant à la nécessité d'une surveillance individualisée ».
La nouvelle ère des biothérapies en neurologie
Les biothérapies (ou biomédicaments) sont des médicaments dont les principes actifs sont produits à partir du vivant et issus de recherches en biotechnologies. Les biothérapies comprennent les protéines thérapeutiques (protéines recombinantes, vaccins et anticorps), les greffes de cellules souches et la thérapie génique. Ces médicaments sont produits grâce à des micro-organismes vivants (virus, bactéries, cellules ou organes). Comparées aux médicaments issus de la synthèse chimique, les biothérapies sont des molécules de très grande taille, soumises à la variabilité du vivant et nécessitent de nombreux contrôles qualité avant d'être mises sur le marché.
Les biothérapies ont permis d'améliorer considérablement l'efficacité du traitement dans de nombreuses maladies graves appartenant à différents domaines de la médecine comme l'oncologie, la cardiologie, la pédiatrie, l'infectiologie, la rhumatologie et l'immunologie.
En neurologie, une gamme croissante d'applications est en cours de développement pour ces médicaments. Des résultats probants sont aujourd'hui disponibles dans le domaine des maladies auto-immunes du système nerveux périphérique et central, de la neuro-oncologie, des syndromes neurologiques paranéoplasiques et des troubles neurodégénératifs. L'efficacité de ces nouveaux biomédicaments apporte une solution chez les patients réfractaires aux thérapies classiques. Ils marquent aussi les premiers pas vers une médecine individualisée car leur utilisation est sous-tendue par la compréhension des mécanismes physiopathologiques (et donc des cibles pharmacologiques) et la possibilité d'évaluer leur action pharmacodynamique.
- La définition du médicament englobe tous ses aspects puisqu'on trouve des propriétés de prévention des maladies, mais aussi de traitement ou de diagnostic.
- En thérapeutique, les notions de pharmacodynamie (effet du médicament sur l'organisme), de pharmacocinétique (effet de l'organisme sur le médicament) et les interactions médicamenteuses sont des éléments cruciaux qui doivent faire réfléchir le neurologue au moment de prescrire.
- La notion de patients à risque est liée à la variabilité d'effet du médicament. Parmi ces variables influençant la pharmacocinétique du produit, on retrouve des variables physiologiques (âge, dénutrition, obésité, déshydratation, grossesse et insuffisance rénale ou hépatique) et environnementales (habitudes alimentaires, hygiène de vie, automédication et observance).
- Les biothérapies (ou biomédicaments) sont des médicaments dont les principes actifs sont produits à partir du vivant et issus de recherches en biotechnologies.
Voir QRM chapitre 32.